Entretien avec Ilham Kadri, PDG de Solvay
Ilham Kadri, PDG de Solvay, et la Fondation CNRS
Ilham Kadri est PDG de Solvay, groupe industriel de chimie belge dont la collaboration scientifique avec le CNRS remonte à quarante-cinq ans. C’est donc tout naturellement qu’elle a intégré le Conseil d’Administration de la Fondation CNRS lors de sa création. Elle revient aujourd’hui sur son engagement au sein de la fondation.
Pouvez-vous rappeler les liens unissant le CNRS à Solvay ?
Les liens qui unissent nos deux organisations sont très forts. Quarante-cinq ans de collaboration, une des premières avec un industriel du secteur de la chimie, et sous toutes les formes : contrats de recherche , consultants, unités de recherche mixtes , échanges de chercheurs confirmés , embauche de chercheurs formés dans les laboratoires du CNRS, échanges stratégiques au niveau du Conseil d’Administration, Conseil scientifique, et plus récemment la Fondation. En mettant en commun nos connaissances, nos expertises et nos talents, nous avons pu atteindre des résultats de recherche et d’innovation remarquables, plus vite , notamment sur les polymères de spécialité et en chimie durable.
Quels sont les objectifs de cette collaboration ?
Nous avons une vision de partenariat à long terme, mais un partenariat évolutif, avec une confiance réciproque qui en découle.
Pour Solvay, cette collaboration représente un accès à des compétences scientifiques et technologiques de très haut niveau dans toutes les disciplines, un accès en primeur et en avance à un potentiel de différenciation dans le marché et donc à un avantage compétitif précieux. Nous profitons également des formations de grande qualité et de points réguliers, cela nourrit et challenge nos équipes scientifiques.
Pour le CNRS, c’est un partage de grands défis industriels, une valorisation des compétences et des innovations possibles, un challenge industriel sur le réalisme de certaines idées,inventions et prototypes , et un soutien à la formation par le financement de thèses et post doctorats.
Par exemple, les unités mixtes entre Solvay et le CNRS nous permettent de progresser ensemble sur la connaissance scientifique, comme dans notre laboratoire des polymères et matériaux avancés à Lyon, dans lequel nous travaillons sur l’impact de renforts au sein de polymères et élastomères avec des retombées importantes sur l’utilisation des silices de précipitation pour améliorer les propriétés du pneu ( résistance, adhérence, impact sur la diminution de la consommation). A Shanghai, l’EcoEfficient Product and Processes Laboratory, il y a un laboratoire international dans lequel les équipes Solvay et CNRS sont focalisées sur la chimie durable, biosourcée et recyclée. Nos travaux visent à optimiser la stoéchiométrie des réactions, et améliorer les rendements par des procédés catalytiques innovants, ce qui inclut les outils de modélisation et d’intelligence artificielle.
En tant que PDG de Solvay, quels projets vous tiennent particulièrement à cœur ?
A mon sens, la science a toujours eu un rôle crucial à jouer au service du progrès de l’humanité. Et la chimie est indispensable à ce progrès, il n’y a pas de développement durable sans science, sans chimie et sans recherche. Donc les projets que nous avons en commun que j’admire beaucoup sont notamment ceux liés à la chimie durable comme les nouveaux produits et procédés développés par les unités de recherche mixtes chez E2P2L, par exemple, dont le biosourcé. Il y a aussi ceux sur la robotique et la microfluidique comme outil d’accélération de la recherche au LOF, les projets liés aux enjeux du digital et enfin les biotechnologies. Pour aboutir, ces projets nécessitent des partenaires de confiance comme la Fondation CNRS.
Quel est votre engagement auprès de la Fondation CNRS ?
En tant que scientifique et femme de l’industrie , je crois au pouvoir de la science pour façonner un monde circulaire, une mobilité plus propre, une industrie plus durable et moins émettrice de gaz à effet de serre et également plus équitable. La Fondation joue un rôle clé dans la construction de cet avenir meilleur et je suis honorée de faire partie du Conseil d’Administration aux côtés de personnalités scientifiques, des représentants du monde économique et de la société civile, qui définissent le cap de cette belle organisation.
De nos jours, quel rôle joue la philanthropie dans la recherche scientifique ?
La Philanthropie dans la recherche scientifique a un grand rôle à jouer. J’en ai d’ailleurs beaucoup fait l’expérience aux États-Unis ; et c’est une bonne chose que la Fondation CNRS occupe cet espace en Europe.
La philanthropie apporte un soutien considérable à différents types de projets : les plus en amont , les plus risqués ou les plus exploratoires. Les fondations doivent d’ailleurs choisir leurs projets en conséquence et ne pas abonder sur des sujets déjà financés. Ce soutien philanthropique est complémentaire aux partenariats ciblés des entreprises, ou aux consortiums de buisness angels (investisseurs providentiels).
D’ailleurs chez Solvay notre héritage philanthropique récompense la science grâce au Solvay Prize. En 2013, nous avons remis ce prix au Professeur Peter G. Schultz (USA), en 2015 au Professeur Ben Feringa (Pays-Bas) devenu ensuite Prix Nobel, en 2017 au Professeur Susumu Kitagawa (Japon), en 2019 au Professeur Carolyn Bertozzi ( USA) et enfin , cette année , nous avons remis le Prix au Professeur Katalin Kariko (Hongrie-USA) pour sa contribution essentielle au développement des vaccins à base d’ARN messagers.