Covid-19 et distanciation sociale : temps subjectif et régulation socio-cognitive des comportements à risque

Le Laboratoire de psychologie sociale et cognitive (LAPSCO) de l’université de Clermont-Auvergne et le Centre de recherches sur la cognition et l’apprentissage (CeRCA) de l’université de Poitiers, sous la coordination de Sylvie Droit-Volet et de Pascal Huguet, ont joint leurs forces en temps de Covid-19 lors d’une série d’enquêtes au sujet des conséquences de l’épidémie sur les comportements individuels. Une action soutenue par la Fondation CNRS.

Sylvie Droit-Volet revient sur les démarches entreprises et les résultats obtenus : « En matière de santé publique, des mesures contraignantes (port du masque, confinement, fermeture des écoles et des lieux de travail) ont été mises en place pour réduire les contacts physiques entre les personnes afin de freiner la transmission du Coronavirus (Covid-19). La question des comportements et de leurs déterminants est donc clairement posée dans la lutte contre une épidémie. D’où la légitimité des sciences de la cognition et du comportement, et plus particulièrement de la psychologie sociale, pour étudier les questions de santé relatives aux conduites dites à risque.

Grâce aux aides financières de la Fondation CNRS et de l’ANR Flash Covid19, nous avons réussi à conduire une enquête auprès de deux échantillons de plus de mille personnes représentatives de la population française, que nous avons suivies pendant un an, au cours des trois périodes de confinement successives. Nous devons bientôt les interroger de nouveau. 

Parmi les résultats marquants, nous avons montré que le premier confinement, en perturbant nos rythmes de vie habituels, a provoqué une distorsion importante du temps psychologique, avec le sentiment que le temps s’écoule au ralenti. Un an après le premier confinement, les participants à notre enquête ont toujours ce sentiment d’un ralentissement du temps. Le temps psychologique n’a donc pas repris son cours normal. Ce ralentissement s’explique par un sentiment d’ennui persistant caractéristique de l’installation à long terme de symptômes dépressifs dans la population. D’ailleurs, la plupart des personnes interrogées évitent de se projeter dans le futur, préférant rester centrées sur le présent à gérer les difficultés courantes, ou sur le passé.

Nos résultats montrent aussi un effet majeur du premier confinement sur les scores de dépression. Le problème est que cette humeur dépressive ne s’avère pas épisodique. Elle persiste de façon significative chez beaucoup de personnes. En avril 2021, un an après le premier confinement, 44 % d’entre elles présentent encore des symptômes de dépression légers (17,3%) modérés ou même sévères (27%). Ceci révèle leurs difficultés à rebondir de façon positive, certaines souffrant d’un véritable « stress post-traumatique » (symptômes survenant après un type de stress de forte intensité ou perçu comme tel). Nous avons d’ailleurs montré le rôle de l’isolement social (rareté des contacts sociaux) dans cette dépression.

D’un point de vue psychosocial, le confinement est problématique car il contrevient à un besoin fondamental d’affiliation sociale chez les êtres humains. Or, comme nous l’avons montré, ce besoin d’affiliation augmente de façon significative avec la peur du Covid-19. L’ironie de l’histoire est que plus ce besoin social est élevé et moins les individus respectent le confinement et les gestes barrières. Ceci conduit à un solide cercle vicieux dans la mesure où cette violation des mesures sanitaires facilite la propagation du virus. Toutefois, le non-respect des mesures sanitaires est nettement plus marqué chez les hommes que chez les femmes.

Enfin, nous avons aussi montré que le non-respect des comportements de distanciation sociale est plus important chez les personnes qui adhérent aux fake news et aux théories complotistes sur la pandémie. Selon notre première enquête, environ 20% des participants sont porteurs de fake news sur la pandémie [et] cette proportion ne change pas dans le temps, d’une enquête à l’autre. Elle s’avère totalement insensible à toutes les informations délivrées dans les journaux télévisés visant à déconstruire les fausses informations sur la crise sanitaire. Ceci est peut-être aussi lié aux difficultés rencontrées par les scientifiques eux-mêmes pour dissocier le vrai du faux, face à la complexité de cette crise sanitaire mondiale. »

 

Articles publiés

1-Droit-Volet, S., Martinelli, N., Chevalère, J., Belletier, C., Dezecache, G., Gil, S., Huguet, P. (2021). “The persistence of slowed time experience during the Covid-19 pandemic: Two longitudinal studies in France?” Frontiers. Psychol., https://doi.org/10.3389/fpsyg.2021.721716

2-Martinelli, N., Gil, S., Belletier, C., Chevalère, J., Dezecache, G., Huguet, P., & Droit-Volet, S. (2021a). “Time and Emotion in the lockdown for the Covid-19 epidemic: The determinants of our experience of time?” Frontiers. Psychol. 11 :616160. doi: 10.3389/fpsyg.2020.616169

3-Droit-Volet S, Gil S, Martinelli N, Andant N, Clinchamps M, Parreira L, et al. (2020) “Time and Covid-19 stress in the lockdown situation: Time free, «Dying» of boredom and sadness.” PLoS ONE 15(8): e0236465. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0236465

4-Martinelli, N., Gil, S., Chevalere, J., Belletier, C., Dezecache, G., Huguet, P., & Droit-Volet, S. (2021b). “The impact of the COVID-19 pandemic on vulnerable people suffering from depression: two studies on adults in France.” Int. J. Environ. Res. Public Health, 18, 3250. https://doi.org/10.3390/ ijerph18063250

5-Huguet, P., Belletier, C., Chevalère, J., Martinelli, N., Gil, S., Droit-Volet, S. (2021). “Epidemiology of fake news in the age of digital transition.” Rev Neuropsychol;  xx(x):1-2 doi:10.1684/nrp.2021.0646

6-Huguet, P., Belletier, C., Chevalère, J., Martinelli, N., Gil, S., & Droit-Volet, S. (2020). « Épidémiologie des Fake News à l’Heure de la Transition Numérique. » Revue de Neuropsychologie, 12, 2, 221-222.

7-Goutaudier, N. Martinelli, N., Chevalère, J., Dezecache, G., Belletier, C., Huguet, P., Droit-Volet, S., Gil, S.  (Révision mineure). “Affective Experiences During COVID-19 Pandemic Lockdown and Posttraumatic Growth: A 1-Year Longitudinal Study in France. Journal of Affective Disorders.

Articles soumis

8-Dezecache, G., Chevalere, J., Martinelli, N., Gil, S., Belletier, C., Droit-Volet, S., Huguet, P. (soumis). “Affiliation in times of pandemics: Determinants and consequences.” British Journal of Social Psychology.

 Articles en préparation

9-Belletier, C., Chevalère, J., Martinelli, N., Gil, S., Dezechache, G., Droit-Volet, S. & Huguet, P. (en préparation) “Acceptance of health measures during the Covid 19 pandemic: how the level of coercion of health measures shapes compliance.”

10-Chevalère J., Belletier, C., Gil, S., Martinelli, N., Dezecache, G., Droit-Volet, S., & Huguet, P. The Spread of News In-Fake-tion During Pandemic Times: From Emotions to Non-compliance with Public Restrictions.”

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